J’ai beaucoup de mal à parler de mon passé

 

Sandia Karima Boina M. Vitali

Je suis née le 2 mai 1995 à Marseille. 

« J’ai beaucoup de mal à parler de mon passé » ... 

Sandia Karima Boina M. Vitali

Je ne suis retournée aux Comores qu’à deux reprises. En 2002, avec mes deux parents, et en 2004 avec maman uniquement. 

J’ai très peu de souvenirs, ce sont seulement des bribes de souvenirs, des visages… De plus, je n’ai pas d’attache familiale. Je ne suis plus proche de mon père, je ne le vois même plus. 

Je suis née et je vis en Occident, mais je ne suis pas occidentale à cent pour cent. Ma couleur de peau me le rappelle… 

Je ne veux pas jouer la carte de la victime, mais j’ai toujours été classée dans la case « immigrée » de par la situation sociale de ma mère et ma couleur de peau. 

Je suis née à Marseille, j’y suis restée trois ans. Je suis allée à Paris avec mes parents.  J’y ai suivi toutes mes classes primaires. Au moment de rentrer en sixième, ma mère est partie travailler à Genève, car elle venait de quitter mon père.

C’était en 2007, j’avais alors douze ans. Je voulais rester proche de lui. Mais, il lui a été interdit de s’approcher de ses enfants. J’étais très proche de mon père, je l’aimais beaucoup, et cette terrible « condamnation » fut pour moi un véritable séisme. 

Je suis, à ce jour, en troisième année. J’y suis heureuse car depuis, je me suis recentrée sur moi-même et je me consacre entièrement à mon devenir et mon épanouissement. 

De plus, je ne suis qu’à deux heures de Genève lorsque j’ai envie de voir maman et mon frère. 

J’ai revu mon père en 2010 mais ce fut une grande déception. Mon père ne m’aime pas. Ma présence créait des tensions dans son nouveau couple. Mon oncle a essayé de nous mettre en contact à nouveau, par téléphone, en 2015.

Nous n’avions rien à nous dire, d’autant plus que sa femme venait de perdre son père. Ce ne devait pas être le bon moment. 

Je ne cherche pas à voir Salma. Notre relation n’est ni sereine, ni constructive. Ni d’ailleurs Sania, née en 1993 et adoptée aussi par mes parents. Nous avons très peu d’écart d’âge. Elle est restée aux Comores. 

Les seuls liens familiaux que j’ai envie de préserver sont des cousins avec qui je pourrais construire notre passé. 

Mon cursus m’a permis de développer une grande capacité d’adaptation... Je vis à Lyon toute seule. 

Au niveau religieux, je suis musulmane pratiquante, bien que ne respectant pas toujours les cinq prières quotidiennes.

Ceci n’est pas le fruit de mon éducation car mes parents suivaient peu les rituels. Dieu était très présent dans leur vie mais je n’ai vu que très rarement mon père ou ma mère prier avant leur séparation. 

J’ai développé ma foi en me documentant vers l’âge de dix- sept ans. A ce moment-là, je me sentais un peu seule et j’avais comme un besoin de méditer et réfléchir en m’adressant directement à Dieu pour trouver ma voie. 

Il est difficile, dans une démarche individuelle, de faire le tri entre les bons enseignements et les dérives propagandistes et distinguer le vrai du faux. 

Aujourd’hui je dirais que je crois en Dieu et en l’islam tout en ayant conscience que certains aspects de ma vie personnelle ne respectent pas à la lettre certains principes de cette religion.

De par mes fréquentations, mes amitiés et autres, j’ai appris à construire une zone qui, selon moi, s’apparenterait à « un juste milieu » entre ma foi et ma vie de jeune femme dans une société occidentale. 

Quant aux actions sociales organisées par ma mère, je dirai que très jeune, je n’ai pas vraiment saisi l’enjeu que cela représentait puisqu’ au moment où ma mère a commencé à faire de l’humanitaire, nous étions préoccupés avant tout par la précarité de la situation économique familiale. 

Je pense que, je n’ai véritablement réalisé la portée de ses actions, que lorsque j’ai effectué seule un voyage au Sénégal dans le cadre de l’OCD.

En rentrant de ce premier voyage, j’ai commencé à m’intéresser à d’autres causes, je reversais de l’argent issu de mes petites économies régulièrement à plusieurs associations, mon but étant de donner au plus grand nombre possible. 

Les interventions humanitaires de ma mère m’ont fait comprendre assez tôt que le fait de ne pas avoir beaucoup, n’était pas une raison de ne pas partager le peu de chose que nous avons avec l’autre. 

J’ai toujours été très admirative du parcours de maman puisqu’elle a su rebondir pour devenir ce qu’elle est aujourd’hui.

Je pense que ce n’est pas quelque chose que je lui montre au quotidien, puisqu’avec l’âge, je dirais, je me suis construit une forme de carapace face à toutes les difficultés que nous avons rencontrées.

De plus, avant la séparation de mes parents, j’étais beaucoup plus proche de mon père que de ma mère puisqu’elle travaillait toujours, à l’époque. 

Je n’ai pas pu vivre pleinement et sereinement mes préoccupations d’enfant ou d’adolescente. Ayant toujours été très impliquée dans la vie de ma mère, j’ai gardé en moi ces regrets et ce mal être sans jamais m’en ouvrir à ma mère. 

Durant cette période de détresse, ma mère était présente physiquement, mais sa souffrance ne lui permettait plus vraiment de nous prendre en main. Nous ressentions de façon instinctive son mal être et partagions inconsciemment ses angoisses. 

Mon premier et plus grand choc fut d’assister à la séparation de mes parents alors que je croyais faire partie d’une famille indestructible. 

Mon second choc fut de constater l’évolution négative de la situation financière au sein de la famille. 

Plus tard, quelques années après, les séjours en foyers m’ont profondément marquée, et ce, d’autant plus que j’étais en pleine adolescence, période de fragilité et de révolte.

J’avais quinze ans et je dormais dans la même pièce que mon petit frère de huit mois et ma mère. 

Je n’avais aucune intimité, je ne pouvais inviter personne chez moi. Ma mère décida de me placer en internat afin que je puisse suivre convenablement ma première année de lycée. J’ai par la suite changé d’établissement. 

Toutes les émotions subies dans l’enfance sont exacerbées. Mon enfance fut certes tourmentée et j’ai eu du mal à m’épanouir, mais, à postériori, je réalise que ma mère a fait tout son possible pour nous éviter le pire et je lui en suis reconnaissante. 

Si j’ai traversé des périodes difficiles, elle n’en est absolument pas responsable. C’est le destin qui a voulu que mon père nous abandonne et que nous nous retrouvions dans cette situation éprouvante. 

J’ai souvent eu du mal à me livrer, puisque j’avais l’impression que parler de mes ressentis serait perçu par les autres comme une forme d’égoïsme et d’ingratitude envers ma mère et les sacrifices qu’elle avait pu faire pour mon frère et moi. 

Je me suis alors réfugiée dans le silence et je me suis renfermée sur moi-même. Je ne remercierai jamais assez ma mère pour son courage et sa persévérance. Si j’en suis là, c’est en grande partie grâce à son amour ! 

Aujourd’hui, je pense que tous ces évènements m’ont véritablement touchée en tant qu’enfant et continuée à me marquer en tant que jeune femme. 

Mon départ à l’université à Lyon, m’a permis quelque part de faire une coupure importante pour tenter de penser à ma construction future. Je ne dirais pas que mon départ était un moyen de fuir, mais plutôt comme le seul chemin pour moi de pouvoir réfléchir à la façon de m’accomplir en tant que jeune femme. J’ai toujours pensé que les aléas de la vie ne doivent pas régir notre vie future. 

L’attitude de ma mère m’a aidée à comprendre que la vie est faite de hauts et de bas, que nous ne contrôlons pas toujours, mais qu’il appartient à chacun de trouver des solutions pour sortir au mieux des périodes sombres. 

Témoignage d’Alicia Extrait du livre de Sandia Karima Boina M. Vitali

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