L’histoire de mes ancêtres

Sandia Karima Boina M. Vitali

Dès mon arrivée à Pointe-à-Pitre, en escale d’abord, j’ai eu l’impression d’avoir déjà vécu à cet endroit.

Certainement, une simple impression de déjà vu ! Je décidai alors de poursuivre jusqu’au Rocher du diamant.

A ce moment-là, je fus secouée par une grande émotion et j’eus le sentiment de faire un grand saut dans le temps et même de renaître de mon propre moi.

Je ressentis très fortement une présence et même des vibrations et, ce fut certainement, dans ce lieu mythique que j’eus ma première et seule connexion avec mes ancêtres Makongos, dans ce berceau aux multiples parfums exotiques qui a marqué mes racines de femme des îles africaines venant d’ici et d’ailleurs.

En état de béatitude, je suis convaincue d’avoir perçu la présence de mes ancêtres que j’appellerai les anciens.

Nous sommes même entrés en communication. Mes anciens étaient en train de me désigner comme la messagère idéale, pour transmettre aux générations futures ce qu’ils avaient enduré et continuer leur combat. Je restais sans voix.

A partir de ces échanges précis et saisissants, je pus établir des interactions avec ce que j’étais devenue et qui m’ont beaucoup éclairée par la suite.

Aujourd’hui je me rends à l’évidence. Ce sont bien les anciens qui m’ont conseillée de rester moi-même et qui m’ont transmis par leur manifestation que quiconque essaierait de m’opprimer échouerait.

Je ne devais plus être ni humiliée, ni asservie. Maudit soit ceux qui voudraient m’enlever mes droits légitimes comme ceux qui ont frappé mes ancêtres avec un fouet et qui nous méprisent encore et nous oppriment.

Les Anciens m’ont insufflée que même si on continuait à se métisser, il ne fallait jamais oublier nos racines.

Rien sur Terre ne pourrait désormais me faire taire. Ainsi, je refuse de jouer le rôle du « bon petit soldat ». Je refuse de répondre au pied levé à l’appel impromptu de mes supérieurs et j’évite ainsi d’être broyée par le système institutionnel.

Je pense que se défendre c’est affronter les problèmes avec du recul.

Se défendre c’est aussi renoncer à être le « dindon de la farce », le « gentil de service ».

Ce n’est pas vraiment évident de résister quand, au niveau professionnel, ceux qui vous entourent ne vous ouvrent aucune porte et restent dans des cadres fermés et rigides.

Mais il était important pour moi de prendre des distances et d’identifier mes limites pour mieux appréhender la situation et me consolider.

Mon arme principale c’est ce sentiment de paix, inspirée par des grands comme Martin Luther King, Nelson Mandela et Gandhi.

A ce jour, pour moi, la situation professionnelle est toujours tendue, mon changement n’est pas passée inaperçu mais cela n’a pas d’importance.

Mes supérieurs n’ont sans doute pas compris mon changement radical puisque je disais toujours « oui » à toute demande de leur part.

L’essentiel c’est de continuer à faire mon travail convenablement et surtout de respecter les personnes que j’accompagne ainsi que ma hiérarchie.

Franchement, je ne sais pas comment mon histoire va se terminer mais personne ne pourra dire un jour que j’ai baissé les bras.

J’ai compris que même si je touchais le fond et que je perdais tout, il me resterait toujours ma dignité et mon honnêteté.

Dans l’asservissement, on est souvent sans le savoir dans l’instinct de survie, malgré nous.

Je me demande à quoi cela peut servir de vivre si on n’a pas le pouvoir de décision et si on veut nous enlever notre propre identité.

Désormais, je me sens dans une phase de reconstruction. J'ai l'impression de disposer d’un corps antique d’une afro-caribéenne qui cohabite en permanence avec moi, celui de mes racines, alors que j'étais jusque-là un corps sans histoire, à la quête de ma réalité.

Petit à petit, avec l’histoire de mes ancêtres, j’ai pu apprendre à me préserver.

Extrait du livre de Sandia Karima Boina M. Vitali

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