Sandia Karima Boina: Les récits des Caraïbes, des Antilles et d’Haïti : entre instrumentalisation et mépris
Ces derniers temps, un phénomène préoccupant se développe sur les plateformes numériques, notamment sur TikTok : certains influenceurs afro-francophones exploitent la misère des Caraïbes, des Antilles et d’Haïti pour gagner en popularité. Sous prétexte de sensibilisation ou de solidarité, ces pratiques s’appuient sur la souffrance de ces peuples pour alimenter des narratifs paternalistes et sensationnalistes. Ces récits, loin de valoriser la résilience et la dignité des populations concernées, les réduisent à des objets de compassion, niant leur capacité d’autodétermination et leur puissance collective.
![]() |
© UNICEF/Herold Joseph En Haïti, l'insécurité alimentaire est élevée en raison d'une situation humanitaire catastrophique. |
Une instrumentalisation asymétrique et problématique
Cette dynamique repose sur une asymétrie fondamentale : les récits ne proviennent pas des premiers concernés, mais de tiers souvent éloignés des réalités qu’ils prétendent représenter. On assiste à une réappropriation de la douleur, qui devient une marchandise numérique destinée à capter l’attention et renforcer une image publique, sans réelle intention de transformation sociale.
En déformant les réalités locales, ces pratiques renforcent une perception erronée selon laquelle les Caraïbes et Haïti seraient incapables de résoudre leurs propres défis. Ce discours paternaliste ravive les stigmates hérités de l’histoire coloniale, où ces territoires étaient perçus comme dépendants des interventions extérieures. Pourtant, ces peuples, porteurs d’une histoire riche et d’une culture résiliente, ont toujours su affronter l’adversité. Leur dignité et leur créativité doivent être reconnues et mises en lumière, sans intermédiaires qui parlent à leur place.
Un mépris insidieux : entre condescendance et injures
Ce phénomène est aggravé par une attitude méprisante envers les peuples antillais, caribéens et haïtiens. D’un côté, ces influenceurs se présentent comme leurs “sauveurs”, alimentant un narratif condescendant. De l’autre, ils n’hésitent pas à utiliser des termes insultants comme “nègre de maison” ou à propager des stéréotypes destructeurs, comme l’idée que les Haïtiens seraient “un peuple maudit” ou “méritant leurs souffrances”. Certains vont jusqu’à affirmer que ce peuple engendre des “enfants dotés de débilités”, une violence verbale et symbolique intolérable.
Ces propos, qui s’enracinent dans un mépris ouvertement raciste, détruisent l’image et la dignité des populations concernées. Ils perpétuent des schémas oppressifs qui nient la richesse culturelle et la résilience historique de ces peuples. En utilisant de telles insultes et en véhiculant ces préjugés, ces influenceurs aggravent les divisions au sein de la diaspora tout en fragilisant les liens de solidarité nécessaires à un développement collectif.
Solidarité ou spectacle ?
Le concept même de solidarité est ici vidé de son sens. Une solidarité authentique ne consiste pas à exploiter les souffrances d’un peuple pour attirer l’émotion ou renforcer une image personnelle. Elle exige écoute, respect et co-construction avec les premiers concernés. Adopter une posture condescendante ou utiliser des injures pour diviser ne fait que trahir une absence de compréhension profonde des enjeux historiques et sociaux qui affectent ces régions.
En tant que spectateurs, nous avons également une responsabilité. Chaque contenu consommé ou partagé contribue à perpétuer ce système. Nous devons apprendre à identifier ces pratiques problématiques et privilégier des récits portés par les populations elles-mêmes, qui mettent en avant leurs luttes, leurs victoires et leurs espoirs.
Une réponse basée sur le respect et la co-construction
Pour répondre à ces dérives, il est crucial de repenser notre approche de la solidarité et de la représentation. Cela implique :
1. Créer des espaces d’expression pour les premiers concernés : Favoriser la voix des populations locales, en leur offrant des plateformes où elles peuvent partager leurs récits et leurs solutions.
2. Repenser les narratifs : Mettre en avant les réussites et la résilience de ces peuples plutôt que de se focaliser uniquement sur leurs difficultés.
3. Sensibiliser et éduquer : Former les créateurs de contenu à une solidarité éthique et respectueuse, tout en éduquant les spectateurs à reconnaître les narratifs sensationnalistes ou paternalistes.
4. Promouvoir une solidarité active et éthique : Soutenir les initiatives locales et les organisations qui travaillent sur le terrain, en alignant nos actions sur leurs besoins réels.
Conclusion : Pour une solidarité unie et respectueuse
Cette situation met en lumière une urgence : celle de réinventer nos relations au sein de la diaspora et avec les peuples caribéens et haïtiens. Une véritable solidarité ne peut se construire que sur des bases de respect mutuel, d’écoute et de reconnaissance de l’autre dans toute sa dignité et sa capacité.
La pauvreté et les crises sociales ne doivent jamais devenir un spectacle, ni un moyen de promouvoir sa propre image. Refusons les récits paternalistes, les injures et les discours divisants. En revisitant nos pratiques et nos discours, nous pouvons bâtir une diaspora forte, solidaire et unie, où chaque membre – qu’il soit des Caraïbes, d’Afrique ou d’ailleurs – se sent valorisé et respecté.
Ensemble, adoptons une solidarité lumineuse et transformative, où chaque peuple est reconnu pour ce qu’il est : un acteur à part entière, capable de tracer son propre chemin vers un avenir de justice et de dignité.
Écrit à Genève, le 5 décembre 2024, par Karima Sandia Boina Mbechezi,
Présidente fondatrice et responsable du pôle social d’OCD International Federalitude Suisse, avec Marie-Laure Naudin-Passicot alias Malou, coordinatrice des projets d’outre-mer, l’équipe bénévole d’OCD international et du mouvement Ayiti dans sa lumière légitime .
Commentaires
Enregistrer un commentaire
Les « Commentaires » désignent le babillard électronique ou la fonction de courriel offert dans le cadre de ce Site. Si vous participez aux commentaires, vous ne devez pas :
- Diffamer, abuser, harceler ou menacer autrui
- Faire des déclarations sectaires, haineuses ou racistes
- Enfreindre les droits de l’homme
- Préconiser des activités illégales ou discuter d’activités illégales dans l’intention de les commettre
- Afficher ou distribuer tout matériel qui enfreint et/ou viole tout droit d’un tiers ou toute loi
- Publier ou distribuer un langage ou des images vulgaires, obscènes, discourtois ou indécents
- Enfreindre le droit d’auteur
- Faire de la publicité, vendre ou solliciter d’autres personnes
- Utiliser les commentaires à des fins commerciales de quelque nature que ce soit
- Publier ou distribuer tout logiciel ou autre matériel contenant un virus ou un autre composant nuisible
- Publier du matériel ou faire des déclarations qui ne se rapportent généralement pas au sujet ou au thème désigné d’un salon de clavardage ou d’un babillard
- Nous nous réservons le droit de supprimer ou de modifier le contenu du Forum à tout moment et pour quelque raison que ce soit.
- En soumettant tout matériel à la rétroaction, vous nous accordez automatiquement (ou garantissez que le propriétaire de ce matériel nous a expressément accordé) un droit et une licence perpétuels, libres de redevances, irrévocables et non exclusifs d’utiliser, de reproduire, de modifier, d’adapter, de publier, de traduire, d’exécuter et d’afficher publiquement, de créer des œuvres dérivées et de distribuer ces documents ou d’incorporer ces documents sous quelque forme ou support que ce soit, ou la technologie maintenant connue ou développée plus tard dans tout l’univers.
- Les informations obtenues dans les commentaires peuvent ne pas être fiables. Nous ne pouvons être tenus responsables du contenu ou de l’exactitude de toute information, et ne serons pas responsables des décisions de trading ou d’investissement prises sur la base de ces informations.
- Si vous avez moins de 18 ans, veuillez obtenir la permission d’un parent ou d’un tuteur avant de participer à une discussion sur notre blog.
- Ne révélez jamais de renseignements personnels sur vous-même ou sur quelqu’un d’autre (par exemple, numéro de téléphone, adresse personnelle ou adresse électronique).
Service de Communication.